|
Vito :
(...) « Il n’y
a pas de fatalité à
la médiocrité
», nous répétait
inlassablement, à Tunis,
notre professeur d’atelier
lorsqu’il nous rendait
une pièce de plomberie
mal façonnée.
Ce principe, je le prononce
chaque matin quand, après
une heure de ménage pour
remplacer Mme Tallandier, malade,
je m’installe dans un
bureau pour étudier jusqu’à
l’arrivée de Jeannine,
la standardiste. Je l’aime
bien, Mme Tallandier, qui préfère
mourir « usée plutôt
que rouillée ».
A soixante-douze ans, elle continue
à traquer la poussière
et à frotter les parquets
comme si l’œil de
Dieu était fixé
sur son travail. Son visage,
tout en rides et craquelures,
a pris avec l’âge
la couleur de la cire et ses
mains, quand elle ne les active
pas, sont saisies de tremblements.
Par fidélité à
sa jeunesse, elle coiffe ses
cheveux cendrés en chignon.
Habituellement, elle m’accueille
en blouse et espadrilles, avec
son éternel sourire éreinté
: « Vous en avez du courage,
monsieur Victor, de vous lever
si tôt. » Un instant,
elle me regarde déballer
mes livres avec ce respect qu’ont
les vieilles personnes pour
les choses du savoir dont elles
ont été privées,
puis retourne à sa tâche
en dodelinant de la tête.
Et je ne sais alors si elle
s’apitoie sur moi ou sur
elle-même. N’était
la crainte de paraître
ridicule, je lui baiserais les
mains ; je la pousserais ensuite
vers un fauteuil, face à
la fenêtre et je lui dirais
:
« Reposez-vous madame
Tallandier, voyez le printemps
est là. »
(...)
|
|