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Julien traîne dans la
rue. La rue, il ne connaît
que ça avec la loge.
Il y vague après avoir
expédié les courses
de la grand-mère, en
trichant un peu avec les comptes
pour s’acheter du bubble
gum et du nougat, qu’il
préfère croquant.
Tantôt il vadrouille tout
en haut, sur la butte, en surveillant
le caniveau où une pièce
aurait pu rouler, tantôt
il déambule sur les boulevards
et pousse vers le Palais-Royal
ou les Tuileries sans jamais
cependant franchir la Seine.
Julien a des amis. Pas de son
âge, ceux-là il
les juge insipides. Il se plaît
d’avantage en la compagnie
d’adultes, quelques boutiquiers
auxquels il rend de menus services,
un marchand de journaux qui
lui permet de feuilleter les
magazines et les illustrés,
un camelot qui lui apprend à
baronner et Véra, une
prostituée qui tapine
dans les assurances, au bout
de la rue Saint-Lazare, à
deux pas du clocher de la Trinité.
Au pied de l’église,
côté jardin, Julien
possède un autre ami,
Yannick, un clochard mi-fou,
mi-sage, ancien charretier breton,
qui affirme que « la vie
est un gros élastique
que l’on tire jusqu’à
ce qu’il vous pète
dans les doigts ». Il
en sait d’ailleurs quelque
chose, lui, Yannick, qui s’est
laissé écraser
par les gros engins à
essence. A soixante-trois ans,
peut-être soixante-cinq,
il se fait dorloter par les
fidèles qui le gavent
de leurs reliefs. Julien aime
bien Yannick, qui dit parfois
des choses qui font réfléchir.
De temps à autre, il
lui apporte un paquet de vêtements,
de ceux que la vieille ramasse
dans les poubelles. Le clochard
en conserve quelques-uns pour
le bain-douche et négocie
le reste contre une bouteille
ou du gros tabac avec lequel
il roule ses cigarettes.
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