Charles Lancar - Ecrivain
 
 
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  L'ombre et le philosophe - Charles Lancar   L'ombre & le philosophe - Ed. Ovadia
 
     
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Chapitre I

Chaque individu, qu'il soit ou non doué de raison, qu'il soit riche ou dans le plus complet dénuement possède au moins un bien inaliénable, inaccessible, et qu'il emporte avec lui dans la mort. Du moins le croit-il. Il en est ainsi pour les animaux, du lion au souriceau, des plantes, du chêne centenaire au moindre brin d'herbe, des rochers à l'infime gravillon. Ce bien, c'est son ombre. Anodine, mystérieuse et par certains aspects inquiétante, elle se révèle pleinement sous le soleil, à la faveur d'un rayon de lune, ou encore sous le faisceau d'un projecteur. Depuis notre naissance, nous sommes habitués à ce que notre ombre nous suive ou nous précède. Parce que nous savons qu'elle n'est jamais bien loin de nous, nous ne lui prêtons que peu ou pas d'attention. On l'imagine docile, soumise à notre humeur, épousant nos faits et gestes. Mais, est-on certain qu'elle ne possède pas sa propre vie, qu'elle ne se livre pas, nos yeux à peine clos, à quelque lointaine incursion ? Peut-on jurer qu'elle est exclusivement attachée à notre personne ? Rien n'est moins sûr, si je m'en réfère à l'aventure survenue à mon ami le professeur Gédéon Fumerol, un des philosophes les plus réputés de notre temps, spécialiste du néant et du nihilisme. Cet excellent homme à d'ailleurs publié un fort ouvrage de plus de six cents pages d'une remarquable érudition sur ce sujet : pas un commentaire sur le néant et le nihilisme qui n'y soit rapporté, analysé, pour ne pas dire disséqué.

J'ai fait la connaissance de Gédéon Fumerol voici une vingtaine d'années, alors qu'il venait tout juste de soutenir sa thèse de doctorat.
Nous fréquentions le même café, sur le boulevard du Montparnasse. Cet établissement avait reçu autrefois des peintres, des sculpteurs et des écrivains devenus célèbres. Aujourd'hui encore, on peut y rencontrer des artistes-peintres, des cinéastes et des comédiens de renom, mais également des étudiants, dont nombre, issus de la faculté de droit de la rue d'Assas. Je possédais des habitudes dans ce café ou j'avais écrit la plupart sinon tous mes romans. J'y bénéficiais d'une table adjacente à la terrasse, dont la disposition, outre le point de vue qu'elle m'offrait sur l'extérieur, me mettait quelque peu à l'abri des allées et venues. Pour sa part, Gédéon Fumerol s'installait dans la salle du fond. Il arrivait après l'heure du déjeuner, sa serviette sous le bras et gagnait sa place. Le plus souvent, elle était débarassée. Lorsqu'elle n'était pas libre, il paraissait désorienté. Il finissait bien sûr par trouver une table disponible, mais il ne se détendait vraiment qu'après avoir recouvré la sienne.

Rien ne nous disposait Gédéon Fumerol et moi à engager la conversation : j'avais horreur des bavardages et des intrus qui n'ont de cesse, sous quelque futile prétexte, de vous arracher à votre quiétude, d'essayer d'échanger avec vous un regard de connivence à propos par exemple, d'un garçon, maladroit ou impertinent, ou un client sans-gêne, fumeur de gros cigares. Ou encore d'un énergumène qui empoigne son journal, le froisse et le fait claquer comme s'il se fut agi d'un étendard. De son côté, Gédéon Fumerol ouvrait un livre dont il prenait des notes, rédigeait des textes ou réfléchissait. Parfois il recevait des connaissances avec lesquelles il discutait un bon moment avant de se remettre au travail. Je passais, en ce qui me concernait, mes après-midi à écrire.

Un jeudi, je découvris dans mon journal une photo de Gédéon Fumerol accompagnée d'un article fort élogieux à propos d'un essai qu'il venait de publier dans une prestigieuse maison d'édition. Je m'empressais d'acquérir l'ouvrage qui me parut tout à la fois pertinent et d'un abord complexe. Trois semaines plus tard, j'appris par ce même quotidien que l'essai avait été sélectionné en vue d'un prix hautement convoité. Je ne pouvais, sous peine de me montrer discourtois, éviter de le complimenter. Je me dirigeais donc vers sa table. Il m'invita à m'assoir.
(...)