(...) « Les clients,
on finit par bien les connaître.
Ils se font à vous
et vous apprennent leurs habitudes.
Pour eux, avec la salle et
le comptoir, vous formez un
tout. Ils ne vous imaginent
pas une vie en dehors. Et
c’est vrai qu’on
s’oublie dans ce travail,
peut-être à cause
de la peur qui vous étreint
sitôt les lumières
éteintes. Pas une peur
physique, non, l’impression
de n’être plus
rien. Chez moi, c’est
propre. J’aime bien
que ça reluise, surtout
les toilettes. A midi, on
met les couverts pour une
clientèle de bureaux.
Le soir, on sert ceux du quartier,
des hommes, des femmes, seuls
ou en couples.
« Dans un café,
ça fonctionne par roulement.
Il y a une heure pour les
ouvriers, une autre pour les
employés et encore
une pour les lycéens
ou les vendeuses. Il y a ceux
qui s’agglutinent autour
du comptoir et qui n’auraient
pas l’idée de
s’asseoir parce qu’ils
préfèrent boire
leur jus dans la mêlée.
Il y a ceux de la salle qui,
même pour quelques minutes,
ne songeraient pas, allez
donc savoir pourquoi, à
s’approcher du comptoir.
On dit qu’un patron
de bistrot, c’est forcément
bavard, autant qu’un
coiffeur. Ce n’est pas
vrai, ce sont les clients
qui parlent. Ils se racontent,
racontent les autres. Vous
les écoutez ou non,
c’est selon votre tempérament
ou le coup de feu qui vous
oblige à jongler avec
le service. N’importe
comment, il vous parvient
toujours les bribes d’une
discussion, d’une confession.
« Dans le temps, on
disait : « je vais à
l’église »
ou « je vais à
confesse. » C’est
ici, à La Chaumette,
que je me suis rendu compte
combien les gens ont besoin
de sortir ce qui est en eux.
(...) »