Charles Lancar - Ecrivain
 
 
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JE SUIS REVEILLE A 4 HEURES 30, dehors à 5 heures. Pourquoi si tôt ? C'est parce que je suis ce qu'on appelle un CNS, un Commerçant non sédentaire. Depuis vingt-huit ans, après un doctorat de sociologie, je vends des vêtements sur les marchés. J'installe mon cirque, toiles, tréteaux, lumières… En face, à quelques pas, un café ouvre. Il est alors 6 heures, 6 heures 30. Je m'installe à ma table et j'écris : une heure, parfois deux de pur plaisir. Ensuite retour au cirque où je déballe mes cartons. Je vends des chaussettes, je discute littérature avec un client auquel j'ai présenté une chemise, je rêve. L'après-midi, après le remballage, je me mets en civil, je saute dans mon bus, et me voici dans un autre café à Montparnasse où ma table m'attend. Je n'écris pas dans les cafés par snobisme, mais par nécessité : chez moi je me sens trop chez moi, je me lève à tout propos, je réponds au téléphone, je me laisse tenter par le canapé. Il est vrai aussi qu'au café je ne suis pas à l'abri d'un coup de pompe : le stylo glisse de ma main, la tête dodeline. Je descends me rafraîchir le visage et c'est reparti. Je n'ai pas trop le choix, il faut bien voler quelque part le temps pour écrire. Je me vole depuis plus de vingt ans. Je passe quatre à cinq heures par jour dans les cafés à écrire. J'avoue que je ne suis pas commode quand j'écris : lorsqu'on me dérange je suis un peu comme un chien auquel on vient retirer un os. Je suis terriblement ours avec les intrus, les bavards, parce que j'ai le sentiment qu'ils me volent le temps que je me vole.
Depuis plus de vingt ans j'écris sur le même papier, grand format, petits carreaux, j'écris avec le même stylo plume, à l'encre noire. Quand mon stylo a des problèmes, j'en ai aussi. On me connaît chez Waterman, ils ne me laissent jamais en rade. Ce sont là mes repères, ils m'ont permis d'écrire huit romans et des poussières.
Ne me parlez pas d'ordinateur que je pourrais dégainer sur une table de bistrot. J'aime le toucher de mon papier, j'aime tenir entre mes doigts la ligne sobre, élégante de mon stylo (noir et or), dessiner mes lettres, boire lentement mon café-allongé-grande-tasse que l'on me sert sans que j'aie à le commander. Écrire c'est me retrouver moi-même, c'est vivre avec l'extraordinaire, avec des gens (des personnages) auxquels j'ai donné la vie. Je ne me sens pas Dieu pour autant. À ma table de café je bats le rappel d'êtres fascinants.
Dehors, après ma séance d'écriture, il m'arrive d'être encore dans mon roman. Cela me vaut parfois quelques bosses, un nez cassé contre une vitre trop bien lavée…
Quand j'écris, j'ai l'impression de procéder comme un boulanger : je jette quelques mots sur ma planche à petits carreaux, je les réécris, cela forme des lignes que je reprends, que je malaxe. Lorsque je bute sur un mot, lorsque je dérape sur une expression ou que je me cogne à une idée ou que je suis en panne blanche, je réécris, je réécris… Je consomme beaucoup de papier. Enfin, après quelques jours, quand ma page est pleine, je la pétris : je n'ai de cesse qu'elle soit laminée, parfaite. Je passe dix, douze jours sur une page, parfois plus. Je ne la lâche que lorsque je n'ai plus rien à y modifier, pas même une virgule, de sorte qu'en la réécrivant elle soit identique.
Alors, cette page, j'ai plaisir à la relire, à en entendre la musique, elle me fait vibrer, me communique une émotion. Une page est belle lorsqu'elle me donne la trouille, celle du lendemain : j'ai peur que la page suivante ne soit pas à la hauteur, j'ai peur de ne pas retrouver la musique, la symphonie qui jusque-là m'a accompagné. Puis j'oublie ma peur, plus précisément elle s'estompe, se dissout dans mon bonheur d'écrire, dans l'oubli de moi-même, de ces voix autour de moi qui se transforment en une lointaine rumeur… Lorsque dans ces moments quelqu'un, fût-il un ami, me tend la main, j'ai envie de la lui broyer parce qu'il casse l'atmosphère dans laquelle je suis immergé, parce qu'il me fait sursauter.
C'est ma façon d'écrire, ma façon de m'éclater. À chacun la sienne.

Charles Lancar - Le 18 avril 2002.