Juillet
1940 – Paris
Adélaïde
sursauta ; un grattement intermittent
venait de lui parvenir depuis
la chambre qu’occupait
autrefois Adrien. Elle quitta
son fauteuil à bascule,
empoigna le couteau qu’elle
tenait à sa portée
depuis que des rôdeurs
avaient tenté de forcer
sa serrure et traversa la
salle à manger éclairée
par un rayon de lune, avant
de s’arrêter devant
la pièce entrouverte.
Le bruit se faisait plus insistant,
comme si des mains fiévreuses
creusaient le sol. Adélaïde
fit un pas, une lame de parquet
gémit. Quelques secondes,
le silence domina, puis le
grattement reprit, sur le
même rythme obsédant.
La pointe du couteau en avant,
prête à frapper,
Adélaïde se glissa
dans la chambre : c’était
un rat, un de ces gros rats
qu’elle voyait souvent
courir après la remballe,
le long des pavillons des
Halles, parmi les cageots
écrasés et les
immondices. Ils y faisaient
leurs affaires, levant parfois
le museau, à peine
dérangés par
la cohorte des clochards et
des ramasseurs d’ordures.
Comme frappée de paralysie,
noyée dans la clarté
bleuâtre qui filtrait
des carreaux teintés
pour la défense passive,
la bête se dressait
les pattes en l’air,
la moustache frémissante,
les yeux luisants et le poil
hérissé. On
la devinait chargée
d’une fureur croissante,
d’une rage qui secouait
ses formes noires et grasses,
pareilles à celles
d’un chat gavé.
(...)