Paris
– Décembre 1918
Certains jours, Antoine
avait l’impression que
sa jambe gauche, perdue sur
le Chemin des Dames, repoussait.
Cela commençait par
un imperceptible fourmillement
à l’aine, puis
les muscles de la cuisse se
mettaient à travailler.
Après quelques minutes,
de petites secousses électriques
traversaient la chair meurtrie
et lui donnait l’illusion
que sa jambe se trouvait à
nouveau à sa place.
Cette impression là,
Antoine l’éprouvait
quelques instants avant son
réveil, de sorte que,
gagné par un fol espoir,
il rejetait, haletant, sa
couverture. Le regard désolé
qu’il posait alors sur
son moignon était à
la mesure du miracle attendu.
Ces moments de détresse
ne duraient guère :
Antoine s’emparait de
son pilon et avec détermination,
en fixait le harnachement
à son membre amputé.
Auprès de lui, Madeleine
feignait de dormir et assistait,
bouleversée, à
ce rite. Pas un mouvement
de son marie ne lui échappait.
Les yeux humides, la gorge
nouée, elle suivait
son brusque réveil
et sa déconvenue, puis,
sur le point de sangloter,
elle enfouissait sa tête
dans l’oreiller. Ce
n’est que lorsqu’elle
entendait le martèlement
du pilon s’éloigner,
qu’elle se levait à
son tour. Elle rejoignait
alors Antoine dans la cuisine
où, avec un soin méticuleux,
il préparait le déjeuner.
Lui, aussitôt qu’elle
apparaissait, la prenait dans
ses bras, la cajolait comme
une enfant puis la forçait
à s’asseoir.
(...)